Les Absents

2011
Les Absents
​De deux choses l’une (mais pas seulement)
 
            Quand une ballerine rencontre une circassienne aérienne, qu’est-ce qu’elles se racontent ? Des histoires de virtuosité, de préparation, de brio, de pointes, d’élévation, de pirouette, d’arabesque, de suspension, d’envol peut-être... Mais quand une ballerine rencontre une circassienne aérienne dans un espace volontairement restreint ? Quand la ballerine et la circassienne voguent d’espace en espace en ne faisant qu’une ?
            Les Absents connaissent plusieurs versions en s’adaptant à des lieux non théâtraux. On sait bien que l’espace influe toujours sur la forme. Pourtant ici, c’est la forme qui sécrète son propre espace avant de se couler dans le moule offert par les circonstances, car Les Absents imposent leur forme changeante aux contours modulables. « Ils » dictent leur loi, douce et impérative. Une loi à entendre, percevoir, ressentir, comme une petite musique intérieure en union libre avec l’espace.
 
            Pour les « invités » aussi, l’expérience diffère selon que l’espace restreint est un conteneur, un petit bureau de directeur ou un mystérieux sous-sol de théâtre.
Exemple : dans un conteneur de métal rouge sang de bœuf, de petits bancs sont posés. Les spectateurs y prennent place, comme au fond d’une lunette de vue pointée vers l’au-delà des parois et de la porte qui leur fait face, tout au bout du conteneur. Un instant ouverte  sur un vague terrain, cette porte laisse filtrer un peu de l’extérieur nuit qui tombe, avant de se refermer avec bruit. L’univers clos ainsi créé résonne alors de l’intérieur, à l’intérieur aussi... Dans le rouge sang de bœuf chaleureux, un être hybride surgit, organisme du début des temps, qui fait vibrer les pleins et les vides de l’espace en dialoguant avec ses occupants. Car cet espace grouille de vie et de présence invisibles, un espace tout en circulation, conversation, hallucination, immobilité vraie et apparente, surprises, tissu et tissage du vivant, présence et disparition, envol et contorsion, adhésion, évasion...
 
            Tantôt araignée au plafond, tantôt Ophélie sombre et surréaliste qui fait la planche, l’être hybride transmet un mouvement ondulatoire, presque continu, en  natation aérienne – une pulsation ? De très brèves et presque imperceptibles respirations et pauses pointent vers le dialogue et l’écoute mutuelle entre la ballerine et la circassienne et non leur fusion, non les jeux de pouvoir. Elles échangent alors leurs univers, leurs rôles et leurs visions du monde ; elles s’imprègnent l’une de l’autre, unissent leurs absents qui en deviennent les nôtres, car l’espace ainsi animé nous adopte en douceur. Il laisse la place à tous les absents, à chacun les siens, et aux présents du fond sur les petits bancs, happés dans un mouvement paisible d’images et de sensations.
 
            Le conteneur, d’où vient-il ? Ce vase clos formaté, uniformisé, seul admis à passer les frontières quasiment sans entraves, bien loin de pousser à l’enfermement et au repli, ne pointe-t-il pas justement vers le libre échange détourné de son sens borné et destructeur ?
            D’ailleurs, qui dit que le conteneur ne voyage pas durant l’aventure ? Une chose est sûre : à la fin, on n’est pas revenus à la même place et on a accompli une révolution autour d’un centre invisible et incontournable, en soi ou dans l’espace.
 
            Dans un conteneur, un bureau de directeur ou un sous-sol mystérieux,
par leur alliance intime, une ballerine et une circassienne se risquent à sonder certains secrets du vivant. 
 
Denise Luccioni, décembre 2011


LES ABSENTS
Danse :
Satchie Noro
Musique : Fred Costa
Lumière et  régie générale : Thierry Arlot
Robe de bois et avant-bras : Silvain Olh et Maryse Jaffrain
Travers ferroviaire : Silvain Ohl
Passeur : Yumi Rigout
 
Coproduction : Théâtre Paris-Villette / Festival Faits d’hiver / Noctambules de Nanterre / Théâtre Brétigny - Scène conventionnée du val d’Orge
Avec le soutien du Conseil Général de l’Essonne.
​Création le 18 janvier 2011 au Théâtre Paris Villette dans le cadre du Festival Faits d’Hiver