Compagnie Furinkaï

Les paradoxes de Satchie Noro/FurinkaÏ
 
Au départ (plan large)
 
Un son : Furinkaï, le bruit du vent.
Un bruit partagé par le vivant, sans paroles, forcément polyglotte.
Le bruit du souffle – bruit de l’esprit ?
 
Une image : un tatami dans un dojo à Paris. Un tatami grand comme le monde qu’on porte au dedans. Grand comme la Terre.
 
Une autre image : la Terre, gigantesque ou minuscule, selon qu’on se l’approprie ou pas, comme le tatami.
 
En toile de fond défile un Japon double :
- celui d’une moitié des origines, celui du père chargé par le fondateur de l’aïkido d’introduire cet art martial en Europe ;
- celui incarné par le père dans le dojo ailleurs, celui qu’il transporte avec lui. L’immatériel de la mémoire, de la tradition, des ancêtres, des absents.
 
 
Une histoire en trois figures
 
Le lien avec l’histoire familiale et la culture nippone se tisse au travers du langage corporel de l’aïkido et d’un lieu de pratique physique, le dojo. Le corps apprend un langage au-delà des mots, dans le bruit du vent.
 
Tournant autour de la figure des arts martiaux – centrée, immobile, ici et maintenant –, se superposent la figure de la ballerine – la pirouette, le creusement et l’expansion de l’espace par les pointes – et la figure aérienne du cirque – la ballerine sortie de son cadre se suspend à l’apesanteur, se coulant imperceptiblement dans les interstices secrets de l’espace. L’arabesque s’envole en passant par la case trapèze.
 
 
Des moteurs
 
Il y a le lien avec les racines fortes et foisonnantes qui résistent à l’exil, des racines transportables. Mobiles, motrices par conséquent ?
Il y a le besoin de respirer, de s’échapper des boîtes, de travailler autrement dans un temps propre, dans le vent, la pluie, le soleil, le noir ou le froid.
Il y a l’ambition du portatif pour créer une forme de représentation et d’implantation simple et légère, un dispositif nécessitant peu de moyens techniques, de lumière, de décor. Une pièce (travail ou espace) avec laquelle voyager, à installer presque seule, à faire vivre même dans un champ.
 
 
Des trajectoires
 
Les trois figures de l’histoire se trament en un espace-temps intermédiaire. Et les lieux se déplacent, au-delà du voyage. Entre le dedans et le dehors, hors de la boîte, hors du tatami, dans le triple langage et la triple image de la force immobile, de la pirouette et de l’aérien, le voyage se joue aussi dans le temps – porteur, transporteur du dedans/dehors.
Le conteneur concrétise le rêve du lieu qui se déplace, du voyage qui transporte son propre espace, zone mouvante entre les cultures et entre les formes. Un lieu de temps et d’espace en suspension dans le temps et l’espace.
Autre trajectoire, l’origami transfigure le dedans/dehors en offrant au déplacement des voies multipliées. Le conteneur est l’espace, l’origami le mouvement.
 
De voyage en voyage, rayonnant vers le Japon ou vers le Chili, Satchie Noro revisite et relie certains points du globe. Comme un voyage suspendu à l’échelle de la planète.
 
 
 
RENCONTRES ET COLLABORATIONS
 
La confiance dans le parcours solitaire et l’esprit d’ouverture provoque “les rencontres qui la dépassent, la débordent.” Des collaborations se succèdent, chacun dans sa forme, apporte son histoire et sa culture, participe à une écriture croisée, nourrie dans l’autonomie. Et Furinkaï, le bruit du vent, porte le fruit de la rencontre.
De même Satchie Noro participe à des aventures lancées par d’autres, enrichissant ainsi une expérience bâtie pas à pas sur le cheminement et le passage.
De plus, elle assume aujourd’hui le partage de la direction dans une école de cirque, pour la transmission et le rayonnement, pour la diversité et les passerelles.
 
 
POUR FINIR, Une image ENCORE
 
Dans l’architecture traditionnelle japonaise, entre le dedans et le dehors, il y a l’engawa, une bande de sol suspendue, généralement en bois, un espace intermédiaire, ouvert sur le jardin, longeant la maison.
N’est-ce pas dans cet espace intermédiaire, intériorisé, que Furinkaï travaille à atténuer les extrêmes, à écarter les œillères d’une vision binaire ? De même, que l’archer n’a pas besoin d’atteindre la cible, de même que le conteneur se plie en origami, rien n’oblige la maison à être aussi carrée ; elle gagne en vibration et en vie à être doublée, paisiblement cernée par l’engawa et tout ce qui s’y passe. Et les paradoxes n’en sont plus.
 
Denise Luccioni
30 octobre 2016